mardi 28 mai 2013

Histoire d’une confusion (et V): des grands explorateurs et des rats de bibliothèque

Redécouverte

Friedrich Wilhelm Hemprich rencontra Christian Gottfried Ehrenberg à Berlin et ils devinrent amis. Tous deux étudièrent sous la direction de Martin Hinrich Lichtenstein, qui suggéra de les prendre comme naturalistes lors d’une expédition en Égypte en 1820. Il voyagèrent sur le Nil, en Palestine, au Liban, dans le Sinaï, vers la Mer Rouge et l’Érythrée, rassemblant ainsi des dizaines de milliers de spécimens. À Massawa, Érythrée, en 1825, alors qu’ils organisaient leur voyage vers les hautes terres d’Abyssinie, Hemprich succomba aux fièvres et fut enterré sur l’île de Toalul.
Parmi les milliers d’espèces collectées, ils tuèrent deux oiseaux d’une espèce inconnue qu’ils appelèrent Ibis comatus (« ibis poilu »). En mémoire de son ami défunt, Ehrenberg décida de remplacer ce nom par Ibis hemprichi en 1832. Il publia les résultats de leur expédition dans Symbolae physicae et il partagea la paternité de l’article avec Hemprich. Cependant, la description s’avéra invalide, nomem nudus. Eduard Rüppell, qui participa également à une expédition dans la même zone pendant la même période, désigna l’espèce comme Ibis comatus, Ehrenberg.
À peu près au même moment, Johann Georg Wagler décrivit en1832 Geronticus calvus, provenant d’Afrique du Sud, mais personne ne se rendit compte que les deux espèces étaient liées. C’est en 1849 qu’ Ibis comatus fut classé dans ce genre, devenant Geronticus comatus, mais la paternité de cette désignation fut attribuée à Rüppell. Vers cette époque, Heinrich Gottlieb Ludwig Reichenbach publia, en 1847, Die vollständigste Naturgeschichte der Sumpfvögel et créa un nouveau genre pour l’espèce qui deviens Comatibis comata.

Afrique du Nord

Entre 1839 et 1842, Alphonse Guichenot participa à une expédition dont les résultats furent publiés en 1850 dans l’  Exploration Scientifique de l'Algérie: pendant les années 1840, 1841, 1842. La principale spécialité de Guichenot, c’était les poissons et les reptiles, mais un grand ornithologue prit part aussi au voyage, François Levaillant. Le nom donné à cet oiseau fut Ibis calvus.
Gravure de Clerge d’après un dessin de Levaillant tiré de l’ Exploration Scientifique de l'Algérie : pendant les années 1840, 1841, 1842 de A. Guichenot (1850)


En 1874, J.H. Gurney publia Rambles of a naturalist in Egypt & other countries où il mentionne des preuves indiquant que Geronticus comatus a autrefois existé en Égypte, précisant qu’il s’est désormais « déplacé plus vers le sud ».

Leonard Howard Lloyd Irby inclut dans son Ornithology of the Straits of Gibraltar (1895) une référence à Ibis comatus à Tanger et Mogador, au Maroc.

Bireçik

Le premier rapport scientifique concernant une importante colonie d’ibis chauves à Bireçik, le long de l’ Euphrate, en Turquie, est dû à C.G. Danford, qui publia un second rapport sur son voyage en Turquie en 1880 : A further contribution to the ornithology of Asia Minor
D’autres voyageurs avaient déjà mentionné cette colonie en dehors des journaux scientifiques, par exemple Josef Cernik, un ingénieur qui séjourna à Birecik en 1873. Auparavant, en 1839, William Francis Ainsworth rendit compte de la présence d’ibis à Bireçik et aussi à Yaylak, 70 km plus au nord que Bireçik dans la vallée de l’Euphrate. La colonie comptait des milliers d’oiseaux au XIXe siècle, au moins jusqu’aux années 1930. En 1954, Cafer Turkmen prit les premières photos de kelaynak à Bireçik.

Henry Eeles Dresser publia son History of the Birds of Europe entre 1871 et 1881. Il décrit l’Ibis comata, Redcheeked ibis (ibis à joues rouges), vivant en Turquie et en Afrique du Nord, mais il ne mentionne même pas sa présence ancienne en Europe. Il cite Tristam qui a vu cet oiseau à Laghouat, en Algérie. 



Rothschild et al. 1897

Quelqu’un devait finir par se rendre compte que toutes les informations provenant de Turquie et d’Afrique du Nord correspondaient à l’espèce qui avait été également amplement décrite en Europe. Il s’agit de Lionel Walter RothschildErnst Hartert et Otto Kleinschmidt,qui publièrent les premières preuves, comme nous l’avons déjà indiqué, en se basant sur un spécimen de Bireçik et sur les illustrations d’Albin et d’autres. 

La redécouverte donnera lieu à une certaine waldrappmanie à partir du tournant du siècle.



Traduction: E. Langrené

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